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« ROSE / JAUNE »

        Sur la plage que nous invite à arpenter Mathieu Demester, ses coquillages et crustacés meringués côtoient de grandes araignées. En fer forgé, formellement imprégnées de celles de Louise Bourgeois, ce sont des «Façonneuses», l’une d’elle est son autoportrait. Toutes sont une évocation de son enfance maritime, sur les marchés, en compagnie de sa mère et de sa grand-mère, poissonnières en Bretagne. Mais ces araignées étranges, que Mathieu Demester perçoit plus comme des animaux de compagnie que comme des prédateurs répulsifs, sont aussi un lien avec le punk. Une culture dont il est épris depuis l’enfance et à laquelle il a consacré un mémoire. Punk aussi est la couleur rose qu’il emploie dans cette exposition. Une matière gourmande et sucrée qu’il travaille non sans humour. Et érotisme. Car ces sculptures que l’on pourrait toucher et croquer sont souvent ouvertes, charnelles. Ainsi évoquent-elles aussi bien des huitres géantes que des cavités profondes. Certaines pièces ne sont pas si éloignées de certaines sculptures d’Anish Kapoor. Certaines, suspendues, semblent s’étirer depuis très haut comme des chewing-gums. Contrairement aux apparences elles se révèlent très lourdes. Tandis que les araignées sont légères, fragiles. Une mise en tension subtile entre kitsch et inquiétude, entre humour et nostalgie, qui incite à ne surtout pas se fier aux apparences. Pour des pièces que leur créateur vendrait volontiers, nous-dit-il, au kilo, sur des marchés, comme dans son enfance.

Par Marjorie Bertin - École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris - Diplôme National Supérieur d'Arts Plastiques (DNSAP), 2022

« Contact »

        « La Fenêtre Fraîche » est un espace d’exposition mis à disposition des étudiants et artistes invités dans le cadre de la plateforme NDE. Cette galerie se loge dans une fenêtre des ateliers techniques de l’école et dès la tombée de la nuit envoie des signes de la vitalité de l’art sur l’esplanade François Mitterrand comme autant de bouteilles à la mer.
Pour le dernier événement de l’année dans « la Fenêtre Fraîche », nous avons le plaisir d’accueillir Mathieu Demester, étudiant en 3ème année fraîchement diplômé de son DNA. Son exposition qui a pour titre « Contact » se tiendra du 12 au 25 juin. Elle s’inscrit dans le prolongement de ces interventions qui depuis 2 ans désormais questionnent les héritages de la modernité et de la peinture abstraite. Son projet se donne depuis ce titre comme un désir de mettre en relation plusieurs référents et imaginaires dans le cadre d’une fenêtre qui s’éclaire à la nuit tombée alors que les passants tentent des dérives nocturnes que bien souvent la rencontre prolongera.

Avec un rose invitant la tendresse sous sa forme la plus crue, Mathieu propose pour cette exposition une relecture de l’art abstrait et plus précisément ici de ce que l’on pourrait penser être un monochrome. Une surface d’une seule couleur, un espace pictural déterminé certes mais que viennent perturber des éléments empruntés tout autant au langage sculptural. Éclairés par la forte présence de ces chaines qui le soutiennent, ce tableau nous embarque vers les questions que nous pose sa matérialité.
Ainsi, cet espace pictural suspendu, comme on le ferait d’un supplicié, n’est pas sans évoquer une carnation, au sens premier d’«une prise de poids». Cette couleur d‘une part mais aussi ce traitement presque meringué nous invitent à la pensée d’une corporalité, une chair ou une matière à croquer. Une peinture qui comme un corps ou une sucrerie s’offrirait au regard dévorateur du spectateur.

    Des jeux de tensions se mettent alors en place entre cette forme, ces signes et leurs possibles interprétations. Une histoire qui s’aborde par le sensible, par la légèreté apparente de ce tableau qui lévite mais dont tous les éléments nous rappellent à la gravité de la pesanteur et à la cruauté des couleurs des jeux de l’enfance.
Une narration qui met ainsi en perspective des expériences liées à l’abstraction, où les éléments constitutifs d’un tableau seraient mis en résonance à des liens plus tendus au langage de la sculpture, mais aussi à des liens connexes à l’art ou comme ici à la mise en place d’un imaginaire pâtissier de la dévoration. On peut alors penser au «Manifeste anthropophage» d’Oswald de Andrade, proposant en 1928 au peuple Brésilien de se réapproprier l’imaginaire cannibale qui leur était attribué, afin de mieux dévorer la culture dominante et de proposer leur modernisme par le tropisme du retournement.
Car si le travail de Mathieu Demester se nourrit d’une relation forte au langage de la peinture abstraite, c’est avec un intérêt tout particulier pour le déplacement et la mise en tension qu’il s’est emparé de la fenêtre. Sa pratique, riche de liens à l’incarnation de la peinture, à la commémoration des instants de la culture punk, se traduit par un travail de matières où les outils et les supports jouent un rôle important de perturbation des valeurs.
Sa peinture se fait à partir d’une pâte épaisse étalée ici à la main sur une plaque de verre. Cette plaque telle un daguerréotype conserve les traces de ces gestes et de la texture aérée aux teintes douces. Une planche contact dont les éléments pris au piège de la mémoire des formes conserve les marques de sa production.

Et si le recto de cet assemblage que nous voyons au travers d’une vitre miroitante nous parait mat, son verso monté sur cette plaque de verre reflète depuis sa face cachée son alentour. Une peinture qui absorbe mais qui renvoie tout autant. Une sorte d’interface entre l’artiste et le monde.

    Mathieu tente ainsi des échanges par l’espace pictural, entre la maitrise et le lâché prise, les éléments qui constituent l’autonomie du langage de l’abstraction et tous ces ailleurs que les notions d’une vitrine à la transparence miroitante, de texture comme des friandises dans une fenêtre/vitrine sur place embarquent. En faisant référence tout autant aux matérialités du travail de Bram Boggart qu’aux sensations de vibrations d’Yves Klein, c’est plus particulièrement vers un tableau de Cécile Bart «sans titre, fenêtre rose» rencontré au musée des Beaux arts de Nantes que Mathieu tente un rapprochement. Une prise de contact à cet ailleurs du monochrome que les recherches de Bart mettent en place avec délicatesse et fluidité depuis plusieurs années.
Ce grand tableau tendu d’un voile rose diaphane qui laisse transparaître la structure de son chassie dans des enjeux d’immatérialité est ici renvoyé à un vocabulaire de la pâte et de la célébration païenne. La transparence et la légèreté, les possibles flottements se retrouvent abordés par l’humour et le décalage punk qui font des coiffures des espaces picturaux où le second degré s’invite en teintures désirables, où les habits se revêtent de chaines en pendeloques et où la peau se perce afin de mieux se cacher. Une certaine légèreté profonde en somme que seuls les paradoxes assumés rendent possibles en transformant l’apparente simplicité en un maillage complexe de signes qui peuvent nous toucher et dont on peut mesurer parfois à rebours les délicatesses et le tact.

Par Bruno Peinado - EESAB Site de Quimper 2018

Textes: Témoignages
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